Publié le 5 février 2015, modifié le 6 avril 2016.
Par Patrice Slupowski

La voiture un tout-petit-peu connectée ?

Publié le 5 février 2015, modifié le 6 avril 2016.
Par Patrice Slupowski

Pourtant la première rupture de la voiture connectée ne sera pas celle du modèle d’achat, mais beaucoup plus celle du modèle d’assurance

C’était en 1998, et certains s’en souviennent peut-être encore, cette passe d’armes humoristique entre Bill Gates et General Motors : ce héros de l’industrie informatique voulait se moquer du manque d’innovation dans celle de l’automobile et avait déclaré pendant le salon COMDEX: « Si General Motors avait continué à progresser comme l’industrie informatique l’a fait, nous conduirions tous des voitures qui coûteraient $25 et consommeraient 1/4 de litre au 100 km ». La réponse de General Motors était arrivée cinglante, quelques jours après, sous la signature de son président et expliquait en 13 exemples, tous plus hilarants les uns que les autres, que si GM développait ses voitures comme Microsoft elles tomberaient en panne deux fois par jour sans raison apparente, les airbags demanderaient « êtes-vous surs ? » avant de se déployer ou encore qu’il faudrait appuyer sur démarrer pour éteindre le moteur …

15 ans après le moindre de nos smartphones a atteint la puissance d’un supercalculateur Cray 2, les voitures ont des boutons marche/arrêt mais à part sous le capot ou de plus en plus d’électronique vient assister la mécanique, le digital n’a pas vraiment pris la place qui devrait pourtant être la sienne dans l’habitacle. 15 ans après Windows est nettement plus stable, Bill Gates continue une fantastique carrière de visionnaire et de mécène mais ce n’est toujours pas K2000, encore moins Siri, c’est plutôt Gérard, Robert ou Laurence qui ne savent pas ou poser leur smartphone …

Et pourtant quoi de plus évident qu’un automobile pour incarner les cas d’usages les plus pertinents sur la mobilité. Seule exception au palmarès le GPS qui a réussi une formidable percée au cours des années 2000 et est parvenu, sous l’effet conjugué de la force de frappe et de la qualité des interfaces de Tomtom et de sa fameuse ventouse, à installer un premier écran sur le tableau de bord.

Pendant cette phase d’accélération, les constructeurs se sont retrouvés un peu dépassés par un modèle qui commercialisait la fonction navigation pour une centaine d’euros alors qu’ils auraient aimer la facturer jusqu’à cinq fois plus pour cette fameuse « première monte » qui assure que l’équipement va trouver une « vraie » place, avec un écran parfaitement serti dans la « ronce de noyer », toujours à l’endroit idéal. Sur une majorité de modèles on peut tout de même avoir quelques doutes sur le bien-fondé de regarder vers l’allume-cigare alors que le conducteur devrait en garder en permanence les yeux rivés sur la route. Dépassés par cet engouement plusieurs ont finalement capitulé en signant des partenariats avec le disruptif Tom Tom pour l’intégrer lui aussi dans loupe d’orme (ou le plastique lustré …).

Révolution suivante annoncée, celle de l’autoradio a vu une industrie lutter bec et ongles pendant près d’une décennie pour ne pas proposer trop vite en standard un port USB ou iPhone voire une compatibilité Bluetooth et en faire un élément optionnel de haut de gamme, à même de faire la différence entre la voiture de Monsieur tout le monde, et cette berline racée qui donne accès à la musique MP3 (« Ja Ich bin mélomane »)… Malgré ces quelques petites révolutions, il semble encore qu’une majorité de constructeurs n’ont pas compris que le conducteur ne peut pas plus se passer de son smartphone dans la voiture, qu’il n’y arrive dans tous les lieux du quotidien (chez lui, au travail, sur la plage, au café, au lit, aux toilettes ….).

Faisons un petit calcul : s’il est avéré que nous regardons l’écran de notre mobile 150 fois par jour en moyenne et que nous conduisons 22 minutes, alors il y a toutes les chances que nous ayons besoin de regarder cet écran 5 fois par trajet. Autant que cela puisse se faire dans de bonnes conditions de sécurité et d’ergonomie.

Où poser son mobile en voiture ? A part de très rares exceptions les véhicules se déclarent incompétents et renvoient la question aux vendeurs d’accessoires, se bornant à considérer que le smartphone doit trouver sa place dans un vide-poche quelconque, 50 cm en dessous de la ligne d’horizon ou pire encore dans une boite à gants (comme le port USB d’ailleurs).

Quant à l’électronique qui se trouve sous la capot, elle se cache, réservant ses charmes aux employés des garages qui seuls pourront brancher des équipements de diagnostic sur le port OBD (Open Board Diagnostics). Cette prise présente sur la quasi-totalité des véhicules produits depuis une quinzaine d’années aurait pu jouer le rôle de l’interface universelle entre les mondes de la mécanique et de la physique et celui du digital. A condition d’installer un petit boitier électronique intégrant un module de communication (appelé « dongle ») et une carte SIM, la voiture devient totalement connectée en transmettant tous ses paramètres de fonctionnement à travers le réseau, en temps réel, proposant du réseau Wifi pour les passagers et ouvrant l’habitacle sur un univers de services pratiques (parcmètre automatique, détection de panne, protection antivol, aides à la conduite et en particulier recommandation d’éco-conduite …)

Dans la version américaine – voire californienne – de la norme qui règlemente le fonctionnement de l’OBD il y a une foultitude d’informations qui peuvent véritablement ouvrir les portes d’un Big Data automobile. C’est ce qu’ont immédiatement compris quelques startups comme Automatic ou Moj.io qui ont mis au point des couples boitiers + plateforme de services et qui commencent à les commercialiser.

https://youtube.com/watch?v=mVP6zt6aX5U%3Frel%3D0

Dans la version européenne de la norme hélas, il n’y a que le strict minimum. Plus grave encore, rien n’indique quelle accessibilité les constructeurs devraient donner à cette prise OBD. Résultat des courses quand il ne faut pas aller fouiller sous le tableau de bord ou dans la boite à gants, il faudra choisir entre le porte-gobelet et le dongle connecté. Comble de la résistance au changement, certains racontent qu’il existerait des véhicules ou la prise OBD est située sous l’une des pédales … de quoi recevoir un award d’ergonomie ! A moins qu’on ne veuille lire ici une volonté de certains de faire en sorte que la voiture connectée n’existe qu’en « première monte ».

Cette connexion resterait alors l’apanage de la montée en gamme, et exclurait le parc existant pour inciter les conducteurs à renouveler leur attelage. L’histoire de la démocratisation du GPS risque de se répéter…

Pourtant la première rupture de la voiture connectée ne sera pas celle du modèle d’achat, mais beaucoup plus celle du modèle d’assurance ou de celui de la maintenance. Ce sont les services autour de la voiture qui seront les premiers à bénéficier du torrent de données personnelles que les capteurs leur enverront. En France c’est Direct Assurance, qui vient par exemple d’annoncer une formule qui tient compte du comportement routier des conducteurs par l’intermédiaire des informations captées sur les smartphones. Cette personnalisation est au cœur de la promesse et il serait dommage que le législateur européen tarde à stimuler l’industrie automobile de connecter un peu plus l’ensemble de ses véhicules.

Partager