TikTok : vers un contrôle américain total de l’algorithme

TikTok entre dans une nouvelle ère : sous contrôle américain, son algorithme devient un enjeu stratégique majeur. Un transfert de pouvoir qui interroge sur la souveraineté numérique. / By Dario Betti, CEO, Mobile Ecosystem Forum (MEF)

Nouvelles frontières pour TikTok : un transfert de pouvoir

Depuis son ascension fulgurante, TikTok s’est imposé comme un carrefour culturel incontournable, réunissant près de 170 millions d’utilisateurs rien qu’aux États-Unis. Mais derrière ce succès planétaire se dessine une bataille d’influence aux contours inédits. L’annonce, en septembre dernier, d’un accord-cadre visant à transférer les opérations américaines de la plateforme à un consortium d’investisseurs américains marque un tournant : si l’intention affichée est de répondre aux préoccupations sur la mainmise chinoise, la réalité soulève déjà d’autres défis.

L’algorithme au cœur du débat

Au centre de l’attention, l’algorithme qui façonne le flux quotidien de vidéos sur TikTok. Désormais placé sous la supervision directe d’Oracle — dont le président exécutif, Larry Ellison, figure parmi les alliés notoires de l’ancien président Trump, cet outil stratégique sera « recréé » et hébergé dans le cloud du géant américain. Derrière cette opération technique se profile un changement majeur : le pouvoir d’influencer ce que voient (ou non) des millions d’Américains passe désormais entre les mains de décideurs privés étroitement liés au pouvoir politique local. Un déplacement du risque : ce qui devait protéger contre une influence étrangère pourrait finir par renforcer des logiques idéologiques internes.

L’écosystème mobile sous pression

Pour le secteur publicitaire et l’ensemble des acteurs mobiles, ce basculement a des répercussions immédiates. Voici quelques-uns des impacts majeurs identifiés :

• Les données publicitaires circuleront désormais dans l’écosystème fermé d’Oracle, compliquant la tâche aux réseaux indépendants pour atteindre les utilisateurs.
• Le précédent créé permettrait aux gouvernements d’imposer des changements de propriété à toute plateforme jugée sensible.
• Le risque croissant de « souveraineté algorithmique » menace l’ouverture et la fluidité traditionnelles du web.

Du côté des opérateurs télécoms, le constat est amer : ils acheminent la donnée sans maîtriser sa valeur ni son usage. Si ces plateformes deviennent peu à peu instruments de surveillance ou de propagande — une évolution que certains redoutent ouvertement, les opérateurs pourraient être entraînés malgré eux dans un jeu qui leur échappe.

Vers une fragmentation numérique accrue ?

Ce cas TikTok pourrait bien inaugurer une nouvelle ère où chaque pays impose ses règles aux géants technologiques internationaux. Un scénario qui risque d’alimenter la fragmentation du numérique et freiner l’innovation, tout en rappelant que changer le propriétaire ne transforme pas forcément la nature profonde de l’outil ni son impact sur nos sociétés.